Nous venons de voir que personne ne veut fondamentalement de l’argent. Tout le monde ne veut que ce que l’argent permet d’avoir (par exemple: sexe, admiration, fierté, etc.). Il y a donc deux aspects à traiter. D’abord, est-ce que seule la richesse permet de satisfaire ces besoins? Si oui, alors il ne faut surtout pas éliminer la possibilité d’être riche. Ensuite, est-ce qu’il est possible d’être motivé à travailler sans l’appât du gain? Si non, alors il faut préserver la libre-entreprise.
Faut-il être riche pour satisfaire ses besoins? Clairement non. Si nous avons appris qu’être riche est un bon moyen de satisfaire nos besoins nous pouvons aussi apprendre d’autres moyens de satisfaire nos besoins. En effet, comme je l’ai déjà dit (no.33), ce n’est que par l’expérience que l’on apprend cela. Par exemple, quand nos parents, nos amis, nos professeurs, etc., nous font sentir qu’ils admirent ceux qui développent leurs talents, nous apprenons que, si nous voulons être admirés, nous pouvons y arriver en développant nos talents, comme écrire un roman ou se développer dans un sport, etc. Ensuite, si une personne veut le sentiment de nouveauté fourni par les perpétuels nouveaux gadgets, mais qu’elle est sensibilisée à la gravité des problèmes liés à la surconsommation (l’exploitation des travailleurs, la destruction de notre planète, etc.), elle va chercher d’autres moyens d’assouvir sa curiosité (elle peut aller se balader dans un quartier inconnu ou écouter un film qu’elle n’avait jamais vu). Enfin, quand notre société valorise le sexe avec amour, on finit par apprendre que, pour avoir de bonnes relations sexuelles, il est mieux d’être soi-même. Dans ce cas, être riche n’est plus un bon moyen d’avoir des relations sexuelles satisfaisantes. Bref, il est évident qu’être riche n’est pas le seul moyen de satisfaire ses besoins. Par conséquent, un monde où la richesse n’est plus possible n’est pas un monde où le bonheur est impossible, loin de là.
Finalement, je crois fermement qu’il est possible d’éduquer l’ensemble de la société de telle sorte que l’on ait un immense désir de travailler sans que ce soit pour de l’argent. Par exemple, nous pourrions avoir le goût de contribuer au bien de notre société et apprendre que le travail est un bon moyen d’y arriver (et non voir le travail comme un mal nécessaire). Nous pourrions développer un sentiment de fierté d’avoir fait du bon travail (et non pas le goût d’en finir au plus vite). Nous pourrions nous sentir admirés pour notre utilité à la société (et non pas pour notre étalage de possessions). Comment arriver à être animés par ces valeurs? C’est encore la même chose: la conjonction d’une meilleure éducation et d’une meilleure santé psychologique. Pour l’éducation, il faut d’abord donner l’exemple soi-même. Quand on montre à nos enfants que l’on n’a pas le goût d’aller travailler, quand on leur fait sentir qu’on a juste hâte au deuxième jeudi, quand on leur dit qu’on ne travaillerait plus si on gagnait à la loto, quand on ne parle jamais de l’utilité de notre travail ou encore quand on leur apprend à bâcler ce qu’ils entreprennent, on enseigne des valeurs à nos enfants. Ces valeurs sont l’importance de l’argent, l’importance du repos et le mépris de la société. Logiquement, si on faisait l’inverse, nos enfants apprendraient les valeurs inverses. Quant à la santé psychologique, il est clair qu’une personne déprimée n’a pas envie de s’investir corps et âme au travail. Il est clair aussi qu’une personne profondément blessée par les autres n’a pas envie de contribuer au bien de tous. Il faut, une fois de plus, répondre à nos besoins affectifs mutuels du mieux que nous pouvons. Ce n’est qu’en se sentant bien dans notre peau et dans notre lien avec les autres que l’on peut avoir le goût de travailler pour le bien de tous. Encore plus, ce n’est qu’en se sentant aimé d’emblée que l’on peut éviter les excès visant à se rassurer sur notre valeur en tant qu’êtres humains, comme les guerres, les empires financiers et autres scandales économiques. En résumé, il est possible d’être éduqué de façon à être motivé à travailler très fort sans pour autant que ce soit dans l’espoir d’être récompensé monétairement pour ce travail.