Jusqu’à présent, j’ai défendu que le mérite est une notion illusoire et donc que la justice ne peut pas être définie par appel au mérite. Maintenant, un des domaines qui est le plus dépendant de la notion de mérite est celui de la répartition des richesses. Commençons par quelques précisions. D’abord, les richesses sont l’ensemble des services offerts et des biens matériels produits. Par conséquent, un aspect important à comprendre est que les richesses sont produites par le travail des gens. Si personne ne travaille, il n’y a pas de richesse. Par ailleurs, quand on parle de répartition des richesses, on parle souvent de la répartition de l’argent (les salaires) car, dans notre société, le moyen d’accéder à ces richesses est l’argent. Cependant, à strictement parler, l’argent n’est pas une richesse. En soi, l’argent ne vaut rien. Maintenant, la thèse que je veux défendre est que répartir les richesses en fonction du mérite n’est pas une bonne façon de procéder. Expliquons cela.
Comme nous venons de le voir (no.82), le mérite est illusoire. Par conséquent, prétendre que la personne qui a «réussi» dans la vie mérite d’avoir plus de richesses est nécessairement erroné. Prenons l’exemple du médecin. On aime répéter que le médecin a étudié pendant de longues années, que ces études ont été extrêmement exigeantes et que la carrière qui en résulte est tout aussi exigeante. Ce préambule est habituellement suivi par la remarque selon laquelle il est donc juste que le médecin gagne plus d’argent que le commis qui n’a jamais fini ses études secondaires. Ma position par rapport à cet exemple est que ce médecin ne mérite pas de gagner plus d’argent. À mon avis, le médecin est simplement chanceux d’être la personne qu’il est et d’avoir pu bénéficier de tout ce qui était nécessaire à son succès (éducation, volonté de persévérer, etc.). Pourquoi faudrait-il que, en plus de cette chance incroyable, on vienne lui verser un salaire 10 fois supérieur à celui du commis? En effet, le commis est simplement malchanceux d’être la personne qu’il est et de ne pas avoir bénéficié des éléments nécessaires au succès. Par conséquent, personne ne mérite fondamentalement de recevoir un salaire plus élevé ou plus faible qu’un autre.