Fondamentalement, le mérite est une notion illusoire. Personne ne mérite son état. Par conséquent, cela affecte radicalement la notion de justice. En effet, on pense souvent que, précisément, la justice est que chacun ait ce qu’il mérite. Ainsi, selon cette conception, si une personne maltraite et méprise les gens autour d’elle alors elle mériterait d’en subir les conséquences. Si elle mourait, par exemple, on aurait tendance à trouver que cela serait plutôt juste. À l’opposé, toujours selon cette conception, si une personne a toujours été gentille, attentionnée et généreuse, sa mort brutale nous apparaîtrait sans doute non méritée, et donc injuste. Cependant, selon moi, si la notion de mérite est une illusion, alors cette définition de la justice ne peut plus fonctionner. Par contre, comme je l’ai déjà dit concernant le blâme (no.49), même des notions illusoires peuvent continuer à jouer un rôle pour des raisons sociales. De fait, on peut continuer à dire à nos enfants qu’ils ne méritent pas leur bonbon. Cela n’est pas une reconnaissance de leur libre-arbitre. C’est simplement une façon de faire changer leurs émotions. Au fond, comme je l’ai déjà dit (no.44), on pourrait dire que ce que l’on veut vraiment est que tous puissent maximiser leur bien. Cependant, cela affecterait la définition de la justice. Effectivement, une action juste, dans ce contexte, serait une action qui permettrait de maximiser le bien. Si la justice a un lien avec le bien-être (ce que je crois) alors il ne peut pas y avoir d’autre fondement à la justice que celui-là.
Appliquons cela à l’exemple du meurtrier. À mon avis, la peine de mort est une punition injuste. En effet, d’abord, puisque le meurtrier n’est pas responsable de ses actions, il ne mérite pas les conséquences qu’on veut bien lui faire subir. De fait, comme je l’ai dit (no.63), si le meurtrier a voulu tuer c’est soit parce qu’il est mal éduqué soit parce qu’il est malheureux, ou les deux. Ensuite, s’il est malheureux, c’est que certains de ses besoins n’ont pas été comblés (peut-être ses besoins d’attachement, le privant ainsi de ressentir qu’il a une valeur en tant qu’être humain). Au bout du compte, s’il a tué, c’est que ses émotions l’ont mené à ressentir que c’était la meilleure chose à faire pour son bonheur. Or, toute personne qui aurait été à sa place aurait tué elle aussi. Conséquemment, le problème ici n’est pas qu’il y a un individu méchant qu’il faut punir. Le problème est qu’il y a un individu qui ne ressent pas les émotions qui permettent la maximisation du bien de tous. Or, je viens de dire que la justice est ce qui permet la maximisation du bien. Par conséquent, ce qui serait juste, dans ce cas, ce serait de lui faire vivre des expériences le menant à changer ses émotions. Comme quoi? Par exemple, on pourrait lui fournir une psychothérapie appropriée (et, encore une fois, on voit à quel point fournir une bonne santé psychologique est une priorité). Qu’en est-il de la prison? La prison peut demeurer nécessaire. Cependant, la prison ne serait pas nécessaire parce que le meurtrier la mérite mais bien parce que, ses émotions actuelles faisant de lui un danger pour le bien des autres, elle serait un moyen temporaire de maximiser le bien de tous. En résumé, puisque le mérite est une notion illusoire, la justice ne peut pas s’appuyer sur le mérite pour être définie. Elle est mieux définie en disant que ce qui est juste est ce qui permet la maximisation du bien.