30. En particulier, puisque les actions morales sont aussi des tentatives de combler nos propres besoins innés, alors elles sont motivées par les émotions.

La moralité est souvent perçue comme étant la manifestation la plus éclatante de la possibilité de la raison de se donner des désirs fondamentaux. En effet, agir de façon authentiquement morale implique agir par désir de faire le bien sans arrière-pensée. De fait, une personne qui fait un don dans l’espoir que cela lui revienne plus tard ne pose pas une action authentiquement morale. Par conséquent, s’il s’avérait que les désirs derrière les actions morales sont toujours motivés par des besoins innés, je pense que l’on pourrait conclure que la raison ne peut jamais donner de désirs fondamentaux. Or, je crois que c’est le cas.

Tout d’abord, il convient de souligner que la moralité commence à s’apprendre à un très jeune âge. Cela se produit lorsque les personnes significatives autour de nous nous font sentir qu’il existe, dans différentes situations, une bonne façon d’être et d’agir. Or, comment cette moralité s’imprègne-t-elle en nous? À cet âge, nous sommes trop jeunes pour comprendre les justifications philosophiques des adultes. Nous accordons de la valeur à ce que ces adultes nous font sentir simplement parce que nous voulons être acceptés par eux. Au fond, c’est un besoin d’attachement qui forme la base de l’apprentissage de la moralité. Sans un besoin inné de ce type, il n’y aurait aucune façon d’expliquer pourquoi les enfants sont si prompts à vouloir agir selon la moralité qu’on tente de leur inculquer. Bref, à la base, les actions morales sont intégrées comme un moyen de satisfaire un besoin d’attachement.

Toutefois, qu’en est-il lorsque nous vieillissons? Lorsque nous pouvons comprendre les justifications des actions morales, est-il possible de choisir rationnellement d’agir selon telle ou telle valeur? Non plus. D’abord, il faut rappeler que les instructions créées dans l’enfance ne s’effacent pas magiquement. Souvent, on continue à ressentir les émotions que ces instructions produisent sans trop savoir d’où ces émotions viennent. Dans ce genre d’occasion, il est facile de penser que nous sommes face à un authentique raisonnement moral, alors qu’il n’en est rien. Prenons le vol en exemple. Quand on est petit, il peut arriver qu’on soit tenté de prendre le jouet d’un autre enfant parce qu’il a l’air amusant, sans penser à mal. Un parent qui voit ça va évidemment gronder son enfant et l’enfant va apprendre qu’un bon moyen de gagner l’acceptation des parents est de laisser faire les jouets des autres. Une fois que l’enfant est devenu un adulte, il se peut que, lorsqu’il pense au vol, il ressente une aversion naturelle pour ce type d’action: sa «conscience» lui dicte que c’est mal, ce qui veut dire qu’il ressent des émotions qui le mènent à vouloir ne pas voler. Dans de tels cas (à mon avis extrêmement fréquents), il est manifeste que le prétendu raisonnement moral n’est rien de plus que la rationalisation d’une réalité émotionnelle acquise durant l’enfance. En résumé, même en vieillissant, nos actions morales sont souvent, sans qu’on s’en aperçoive, des moyens de satisfaire des besoins innés.

Néanmoins, beaucoup de personnes ont l’impression qu’il y a des raisonnements authentiquement moraux, ce qui démontrerait la possibilité que la raison se donne des désirs fondamentaux. Examinons un cas extrême. Par exemple, imaginons un individu qui sacrifierait sa vie pour sauver celle de ses concitoyens, peut-être en se suicidant pour ne pas dévoiler le point faible de la défense nationale. Spontanément, il semble qu’il faille comprendre cela en disant que cet individu s’est rationnellement donné le désir de sauver ses concitoyens. Si ce désir est authentiquement moral, alors il est fondamental: sauver les autres n’est pas un moyen de satisfaire un besoin plus fondamental, c’est un but en soi. Cependant, je ne pense pas que ce type de cas parvienne à démontrer que la moralité authentique existe. Il y a toujours la possibilité d’expliquer une action de ce type en montrant que, de fait, il y a un besoin plus fondamental qui l’a causée. Par exemple, il est facile de se demander comment l’individu sacrifié se serait senti s’il avait eu la possibilité de sauver ses concitoyens mais qu’il ne l’avait pas fait. Il y a fort à parier qu’il se serait senti extrêmement coupable. (Pourquoi il se sentirait coupable et un autre non est une question qui demanderait d’examiner l’ensemble de leurs expériences passées respectives.) Par conséquent, on peut imaginer que cet individu a, en fait, agi sous l’impulsion d’un besoin d’attachement: il a eu peur de perdre l’estime des autres s’il ne s’était pas sacrifié. Il y avait donc un besoin inné qui a motivé cette action. Par ailleurs, ce type d’explication me semble beaucoup plus proche de la réalité ressentie lors d’une prise de décision morale que l’explication faisant de la moralité une motivation logique et abstraite qui s’acquerrait avec l’âge de façon mystérieuse. Bref, je crois que tous les cas d’actions morales peuvent être expliqués en invoquant des besoins innés que ces actions visent à satisfaire, de façon consciente ou non. Par conséquent, la raison ne peut jamais donner de désirs fondamentaux.

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