La psychothérapie-phobie

(Ce texte est une blague visant à dénoncer la peur de la psychothérapie. Il est écrit dans un style parodiant le DSM.)

A. Définition :

La psychothérapiephobie fait partie de la grande famille des phobies (dans le dictionnaire des phobies, c’est après la Psittphobie, la peur des secrets). Cela consiste en une peur teintée de dédain quant à l’idée même de devoir recourir à des services d’aide psychologique.

Pour pouvoir poser le diagnostic, un des deux jugements suivants doit avoir été formulé au moins une fois par le sujet.

-«Pas besoin de psy, voyons! Chu pas fou!»

-«Pas besoin de psy, voyons! Je suis capable de changer tu-seul!»

B. Causes du diagnostic:

Ces deux jugements trouvent leur origine dans les conditions sociales suivantes, lesquelles se ramènent chacune au fait que la santé mentale est un sujet à peu près aussi connu que l’âge du capitaine.

  1. Pour que le trouble apparaisse, il faut une bonne dose ambiante de préjugés envers ceux qui sont psychologiquement différents. Idéalement, chaque attitude anormale doit avoir tendance à être ramenée à la «folie». Ainsi, une personne déprimée ne peut pas être vue comme une personne ayant vécu des événements tristes et décourageants (comme le fait d’avoir été abandonné par sa famille). Elle doit être jugée folle. De même, la situation d’une jeune femme anorexique ne peut être considérée comme étant le résultat d’une série d’événements déstabilisants (comme le fait de se faire traiter répétitivement de bouboule). Son anorexie doit être comprise comme étant le produit de sa folie. Ou encore, un jeune homme qui a commis une tuerie ne doit surtout pas être envisagé comme étant une victime d’un environnement traumatisant (comme le fait de se faire abuser à chaque semaine par son père); il faut qu’il soit posé comme fou. Plus on pense que les troubles mentaux sont des maladies qui s’attrapent comme un rhume, mieux c’est. [Atchoum! Merde, je pense que je suis devenu schizophrène.]
  1. Ensuite, il faut que les gens entretiennent certaines idées concernant l’activité psychothérapeutique elle-même, surtout concernant le type de personne qui peut bénéficier de thérapie. En gros, c’est uniquement pour les fous. Il ne faut surtout pas que les gens croient que la relation à un thérapeute soit une expérience qui puisse permettre de surmonter les traumatismes relationnels passés. La croyance selon laquelle le psychologue peut voir à travers nous est pas mal aussi. Une phrase comme : «T’es-tu en train de m’analyser, là?» prononcée sur un ton vaguement terrifié, est un bon indicateur de la présence de ce dernier élément.
  1. Enfin on arrive au nœud du problème. La psychothérapiephobie n’apparaît que si les gens croient que ce sont que les faibles qui ont des problèmes psychologiques. Ce trouble est donc une déclinaison du Trouble de l’illusion du contrôle total de l’existence. Quand, dans une société, se répand la croyance selon laquelle «quand tu veux tu peux», se répand parallèlement l’idée voulant que toute émotion peut être contrôlée par un effort de volonté : «De quoi ça, tu te sens poche? Botte-toi le cul pis arrête de niaiser!» De tout cela vient naturellement le sentiment en vertu duquel recourir à une aide extérieure est un signe de faiblesse.
  1. Le dernier élément nécessaire est en lien avec la valeur. Parce qu’il pourrait arriver que même si une personne est «faible» elle ne soit pas dénigrée pour autant. Une société d’où émerge des psychothérapiephobes n’est pas comme cela, non monsieur! Une telle société doit être intransigeante. Elle doit faire sentir à chacun qu’ils doivent être «utiles» à la société pour mériter sa place : «Pas d’artistes ou de philosophes ici, s’il-vous-plaît! Circulez, il n’y a rien pour vous ici!» Quand une société accorde une valeur démesurée à la performance individuelle, quand le signe tangible de notre valeur en tant que personne est notre réussite professionnelle et/ou monétaire, la table est mise pour la psychothérapiephobie.

C. Moments d’activation des crises :

Par chance pour les psychothérapeutes, le simple fait de se trouver dans le champ de vision d’un sujet atteint ne suffit pas à amorcer chez lui une crise. Toutefois, par prudence, évitez de mentionner votre occupation. La psychothérapiephobie se manifeste surtout lorsque le sujet reçoit des conseils (évidemment déplacés) selon lesquels il pourrait bénéficier de thérapie.

Par exemple, si le sujet vit un ou plusieurs événements pénibles (deuil, mise-à-pied, rupture…), qu’il est en conséquemment affecté négativement, et que quelqu’un a le malheur de lui dire que ça lui ferait peut-être du bien de consulter, une crise a de bonnes chances de survenir.

Autre possibilité, le sujet ne fait que jouer à Minecraft du matin jusqu’au soir et semble ne plus trouver d’autre joie dans la vie. Attendez-vous à ce que la suggestion d’une thérapie déclenche chez le sujet une crise assez importante.

D. Affects lors des crises :

Les crises consistent principalement en un grand coup de balai métaphorique : «Ben voyons-donc… [voir un des deux jugements de la section A]!» Il peut arriver, que, dans un bref moment de lucidité, le sujet admette qu’il ne va pas bien et qu’il aurait besoin d’aide. Il se pourrait même que ce moment soit baigné de quelques larmes. Toutefois, rassurez-vous, chez le psychothérapiephobe authentique, le naturel revient au galop. Rationalisation après rationalisation, son modelage social refera surface : «Et puis non, chu pas un faible! Il faut juste que je me botte le cul!»

E. Critères d’exclusion :

Le sujet ne peut pas être déclaré psychothérapiephobe si un diagnostic plus général, comme humainphobe, est applicable. C’est une question d’ensembles plus petits dans des ensembles plus gros. Logique, non?

F. Troubles associés :

Trouble de l’illusion du contrôle total, discrimination envers les personnes différentes…

G. Durée du trouble

La psychothérapiephobie est une construction permanente de la personnalité. Évidemment comme cette facette a été construite par diverses expériences, il est toujours possible de la déconstruire. À cet effet, il faut surtout éduquer.

Comme presque tous les problèmes sociaux, la base consiste à mieux comprendre la réalité. Dans ce cas-ci, il s’agit surtout de comprendre que les problèmes psychologiques surviennent suite à des événements pénibles vécus par la personne; de comprendre que ne pas être capable de s’en sortir seul ne veut pas dire être faible; de comprendre les mécanismes régissant le changement émotionnel (et le rôle des psys là-dedans). En un mot, pour que la psychothérapiephobie s’estompe, il faut comprendre que la liberté de la volonté qui fonde nos sociétés de droite est en grande partie un mythe. Une bonne façon d’y arriver est de suivre des cours de psychologie, de sociologie et/ou de philosophie. Alternativement, on peut aussi attendre que la science s’infuse en nous.

 

 

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